Jusqu’au 11 Octobre prochain, la Galerie Mobile Camera Club expose deux photographes de talent aux univers sombres et monochromes: Bénédicte Guillon et Stéphane Mahé. La particularité de cette « Ténébreuse affaire »? Confronter deux séries réalisées entièrement au smartphone.
Depuis le début de l’année 2014, Nadine Bénichou, Stéphanie Dupont et Lénaïc Entremont, les trois créateurs du Mobile Camera Club se donnent comme ambition d’exposer la diversité de la photographie réalisée avec un support mobile. Un pari audacieux, des idées novatrices et une certaine vision de la photographie: autant d’éléments que nous avons tenté d’explorer avec cet entretien qui est consacré au projet et au lieu qu’ils promeuvent.
Pourquoi avoir créé un lieu physique autour de la photographie et de l’art mobile ?
Pour ancrer le virtuel dans le réel et rendre visible des photos noyées dans ce flux continuel d’images dont nous abreuvent les réseaux sociaux, un flux qui finit par nous faire perdre la vue, le sens critique et celui des réalités.
Nous voulions montrer que la photo mobile peut aller au-delà du simple geste de poster, qu’elle peut aller plus loin, sortir dans le réel, passer l’épreuve de l’impression et s’exposer au grand jour.
Créer cette galerie, c’était aussi un moyen d’arrêter le flux, d’inviter le regard à se poser, à mieux apprécier les détails et les subtilités d’une image. Nous sommes à une époque où la réflexion n’a plus le temps de s’élaborer, l’époque du copié-collé qui refait du neuf avec du vieux parce qu’elle n’a plus le temps de chercher, de se poser, d’observer. Nous voulions donner le temps à ces photos, leur donner une chance d’être vues, appréciées ou non, commentées, réellement regardées, adoptées…
Et tandis que la plupart des gens ne voient en la photo mobile, au mieux, qu’une image communicante, notre point de vue c’est de montrer que de nombreux artistes se sont emparés du smartphone, tirant parti des potentialités de l’appareil pour exprimer leur créativité.
Pour nous, la photo mobile ne naît pas de rien et elle n’a pas la mémoire courte. Elle a une histoire et une mémoire. Elle ne s’est pas créée contre une photographie plus traditionnelle, mais avec et dans sa continuité. Elle peut avoir un cerveau, un œil, une démarche artistique, être originale et ne pas avoir à rougir de ce qu’elle est. Et c’est pour ça que nous voulions la présenter autrement, avec tous les égards qu’elle mérite.
Y a t-il une manière spécifique d’exposer la photographie mobile ?
Bien sûr que non et heureusement. D’ailleurs, au début du projet nous avions envisagé la possibilité d’un photo truck, sur le modèle du food truck, pour rester mobile jusqu’au bout.
Nous avions aussi pensé à occuper des locaux désaffectés, le temps d’une exposition. Mais les questions de logistique nous ont fait reculer. La photo nécessite un accrochage et un éclairage adaptés et soignés. Et cela aurait été trop compliqué de tout repenser à chaque fois. Nous avons préféré mettre tous nos efforts à choisir des artistes et des photos.
La galerie nous a permis d’élaborer notre propre système d’accrochage et de mettre en place un éclairage professionnel.
C’est aussi une manière de bousculer les idées reçues que d’adopter un même dispositif que pour la photo classique. Souvent les gens rentrent sans savoir ce qui est exposé. Nous les laissons regarder, puis nous leur expliquons notre concept. Ils sont tout simplement bluffés et repartent ébahis de ce que certains photographes arrivent à faire avec ce petit appareil.
Quel est votre public de visiteurs et de collectionneurs ?
Des curieux, des incrédules qui demandent à voir pour y croire, des passionnés de photo, des gens du quartier, des touristes, des gens qui ont lu des articles sur nous.
Nous attendons encore les collectionneurs, même si nous commençons déjà à avoir des clients fidèles. Le chemin est long, mais les réactions de nos visiteurs nous confortent dans notre projet.
Qui achète de la photo mobile ?
Les gens qui aiment la photo, les coups de cœur et qui ne cherchent pas à tout prix à investir dans l’art. Il est encore trop tôt pour spéculer sur la photo mobile, même si déjà certains artistes commencent à émerger.
Les plus jeunes ne viennent ici qu’en visiteurs, à 20 ans, on n’a pas forcément envie d’engloutir tout son argent de poche dans une photo, mais nous ne désespérons pas de les amener jusqu’à nous et de les détourner des supermarchés de la photographie.
Quelles relations entretenez-vous avec les photographes que vous exposez ?
Elles varient selon les photographes. Certains ont besoin de conseils, d’autres non. Certains conçoivent l’exposition avec nous, d’autres préfèrent élaborer leur série seuls. Certains sont très professionnels, d’autres moins. Nous nous adaptons à chaque fois.
En France, que ce soit au niveau des Fonds Régionaux d’Art Contemporain (FRAC), du Fonds National d’Art Contemporain (FNAC), ou des institutions culturelles dédiées à la photographie, il n’y a pas de photo mobile qui a été achetée, exposée ou mise en collection. Quelle est votre analyse sur ce sujet ?
L’idée que la photo mobile puisse être à vocation artistique et que des artistes puissent s’être emparés du mobile comme étant un outil de production d’oeuvre d’art n’est pas encore arrivé jusqu’au cerveau de tous ces responsables. Les mentalités sont difficiles à changer.
Pourtant, il suffirait de peu de choses. Qu’un grand nom s’en empare par exemple. Mais il y a aussi une frilosité de la part des artistes, qui ont sans doute peur pour certains de dévaloriser leur travail et leur cote.
Mais cela se fera, forcément. C’est la mission que nous nous sommes fixée et la raison d’être de cette galerie. Nous sommes fiers qu’un tel lieu ait été créé d’abord ici, en France, et nous espérons que les institutions sauront vite relayer notre initiative.
Vous exposez actuellement les travaux de Bénédicte Guillon et Stéphane Mahé. Pourquoi avoir choisi de confronter leurs œuvres ?
Ce sont deux photographes qui travaillent essentiellement en noir et blanc et qui apprécient chacun énormément le travail de l’autre. Nous nous sommes dit qu’ils auraient plaisir à exposer ensemble. Ce qui s’est avéré être le cas.
Après une exposition aux antipodes de celle-ci, avec des photos très colorées montées sur plexiglas, loin de tout réalisme et aux frontières de la peinture, nous voulions montrer que nous pouvions revenir à des photos et des montages beaucoup plus classiques.
La photographie mobile se prête à beaucoup de styles très différents, que nous comptons bien accueillir, avec enthousiasme et sans dogmatisme.
Quels conseils donneriez-vous à de jeunes artistes mobiles ?
Persévérer, même si ça n’est pas toujours évident d’aller à contre-courant. Faire une école d’art réputée pour le réseau qu’elle peut apporter et la caution artistique qu’elle offre aux yeux de la société.
Mais garder un esprit critique et ouvert, se faire sa propre idée des choses, être curieux, ne pas céder à ses habitudes de pensée et ne pas accepter les discours d’autorité sans les questionner. Aiguiser son œil en regardant beaucoup de photos, discuter avec d’autres photographes, parce qu’on n’a pas toujours la cohérence ou le recul nécessaire pour juger son propre travail.
Surtout ne pas sous-estimer la nécessité d’avoir plus que des rudiments de communication et de commerce et être capable de construire un discours autour de son travail.
En savoir plus sur la Galerie MCC:
Horaires: du mardi au samedi de 14h30 à 20h00
Ligne 2 (Blanche) – Ligne 12 (Trinité d’Estienne d’Orves ou Saint-Georges) – Ligne 13 (Liège)
Exposition « Une Ténébreuse affaire », Bénédicte Guillon – Stéphane Mahé, jusqu’au 11 octobre 2014:
Sébastien APPIOTTI
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